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Taxes douanières : quels leviers contractuels pour y faire face ?

Taxes douanières : quels leviers contractuels pour y faire face ?

Taxes douanières : quels leviers contractuels pour y faire face ?

 

L’annonce et l’imposition, par la nouvelle administration américaine, de taxes douanières pouvant atteindre jusqu’à 50 % à l’égard de certains pays (hors le cas de la Chine), a brutalement remis en cause les règles du commerce mondial, entraînant une augmentation significative des coûts d’importation et déclenchant une guerre commerciale, selon le terme désormais consacré. Si la situation n’est pas encore figée à ce jour (avec le relatif sursis de 90 jours, censé prendre fin le 8 juillet 2025), les entreprises (notamment françaises) tournées vers le commerce outre-Atlantique se préparent, d’ores et déjà, à faire face à des taxes douanières plus importantes que celles auxquelles elles étaient habituées. Dans la boîte à outils du négociateur chevronné, quels leviers contractuels peuvent être invoqués utilement pour limiter les effets des augmentations de taxes douanières ou pour renégocier les prix en conséquence ? Concrètement et à titre d’exemple, sur quels fondements contractuels une entreprise française exportatrice qui aurait garanti des prix fermes à son client américain peut-elle espérer renégocier les prix ? 

La Force Majeure est-elle un levier pertinent ? 

Une idée assez répandue donne à penser qu’invoquer un événement de « Force Majeure » pourrait permettre de se soustraire à ses obligations contractuelles impactées par une hausse soudaine des taxes douanières. En pratique, un exportateur français peut-il s’émanciper, par exemple, du prix fixe contractuel en invoquant un cas de Force Majeure du fait de l’augmentation soudaine des taxes douanières ? 

Cela va dépendre, en tout premier lieu, de la présence ou non dans le contrat d’une clause de « Force Majeure » et de la manière dont elle est rédigée. En effet, une telle clause n’offre pas les mêmes opportunités en fonction du droit gouvernant le contrat dans lequel elle est insérée. Si elle doit s’interpréter au regard du droit français, ses effets ne seront pas non plus les mêmes selon qu’elle reproduit simplement les termes de l’article 1218 du code civil ou si elle va au-delà, en qualifiant par exemple d’évènements de Force Majeure des cas autres que ceux traditionnellement envisagés par la jurisprudence française. Il ne faut pas oublier en effet qu’entre professionnels, il est toujours possible d’aménager librement (sous la réserve du déséquilibre significatif) une clause de Force Majeure. Encore faut-il l’anticiper.  

Indépendamment de la rédaction même de la clause de Force Majeure, il est communément admis que, pour être reconnu comme un cas de Force Majeure, un événement doit revêtir les caractéristiques d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité. 

On peut en l’occurrence douter que l’augmentation, même brutale, des taxes douanières soit considérée comme imprévisible (alors qu’elle était, des mois auparavant, publiquement annoncée comme une mesure phare dans la campagne électorale de Donald Trump) ou même irrésistible, c’est-à-dire insurmontable pour les entreprises les subissant ; la jurisprudence estimant traditionnellement que, pour répondre au critère d’irrésistibilité de la Force Majeure, l’événement en question doit rendre matériellement impossible (et non pas seulement plus onéreuse) l’exécution d’une obligation contractuelle. 

Dès lors et sauf à ce que la clause de Force Majeure ait été rédigée de manière spécifique – ce qui est, par défaut, recommandé – il est peu probable, dans l’hypothèse de l’augmentation des taxes douanières, qu’elle puisse servir de levier efficace à une renégociation contractuelle. 

Peut-on évoquer utilement l’imprévision et à quelles conditions ? 

L’article 1195 du code civil ouvre, par défaut (et sauf à avoir été expressément exclu dans le contrat) la possibilité pour une partie de déclencher unilatéralement une renégociation du contrat « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque »

Sur le principe donc, une entreprise française confrontée à la hausse brutale de taxes douanières affectant directement l’économie du contrat pourrait être avisée d’invoquer l’article 1195 du code civil (à condition toutefois que le contrat soit soumis au droit français et que cet article n’ait pas été expressément écarté) pour contraindre son client américain à négocier. Toutefois, le recours à l’article 1195 présente d’importantes limites : tout d’abord, avoir l’obligation de négocier n’emporte aucune obligation de résultat. Ensuite, pendant la négociation (qui peut durer un certain temps), les parties sont tenues de respecter leurs obligations contractuelles et, enfin, à défaut d’accord entre elles, les parties risqueraient de voir le juge s’immiscer dans le contrat, ce qui n’est généralement souhaité par personne. 

Et quid de la clause de Hardship ?

La meilleure manière d’appréhender le cas et les effets de l’imprévision passe, comme souvent, par la rédaction d’une clause spécifique, généralement dénommée clause de « Hardship ». Dans cette clause, les parties peuvent librement convenir, et ce sans que cela soit limitatif : des cas de déclenchement de la clause de Hardship, des dispositions (non exhaustives) qui mériteraient d’être renégociées en priorité (comme l’Incoterm choisi par exemple), du processus de discussion / renégociation permettant de parvenir, de bonne foi, à une solution équitable, et même, à défaut d’accord entre les parties, des modalités de sortie anticipée du contrat ; car aucune partie ne peut raisonnablement être retenue en otage dans un contrat qui lui serait devenu économiquement défavorable. 

Mais là encore faut-il avoir la présence d’esprit et l’expertise technique pour rédiger et négocier une telle clause. A défaut d’une telle clause, les chances pour la partie affectée par une hausse soudaine des taxes douanières de déclencher et mener à bien une renégociation fructueuse sont bien compromises. 

Les clauses de révision ou d’ajustement des prix (en dehors même des cas de Hardship) peuvent également s’avérer très profitables, de même que toutes les clauses de coopération de bonne foi et de résolution alternative des litiges (permettant le recours notamment à la médiation ou l’arbitrage). 

Bien évidemment, l’entreprise exportatrice est vivement encouragée à apporter une attention toute particulière au choix de l’Incoterm applicable aux transactions commerciales lors de la conclusion du contrat et/ou de sa renégociation pour limiter au maximum l’impact d’une variation des taxes douanières. 

En conclusion et sans qu’il faille s’en étonner, l’anticipation des risques et sa traduction contractuelle sont, dans de telles circonstances, cruciales pour réagir avec agilité et se ménager les meilleures chances possibles pour une négociation réussie. 

me US

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