Entretien avec Lionel Zinsou, économiste, ex-cadre dirigeant de Danone, Rothschild, Paribas Affaires Industrielles et ancien Premier Ministre du Bénin (2015-2016), qui animait en mars 2017 notre réunion sur le thème « les facteurs de succès et d’échec des entreprises françaises en Afrique ».
Comment évolue le regard des entreprises européennes sur l’Afrique ?
Une grande curiosité d’Afrique et même un désir d’Afrique ont commencé à gagner les entreprises européennes. Ce désir est légitimé par la croissance différentielle de ce continent, mais aussi provoqué par les progrès réalisés sur les marchés africains par d’autres puissances économiques, comme la Chine, l’Inde, le Brésil, la Turquie ou la Corée du Sud. En même temps, il reste une perception des risques très aigue et probablement surestimée. Car l’Afrique est aujourd’hui un continent rentable, où les flux d’investissements étrangers ont été multipliés par cinq au cours de la dernière décennie.
La croissance de l’Afrique est-elle durable ?
Longtemps on n’a pas cru que la croissance africaine serait durable. Mais l’immense majorité du continent a enregistré au cours des dernières années, sur de longues périodes, un taux de croissance de 5% par an. De plus, la croissance en Afrique n’a pas vraiment décroché au plus fort de la crise financière. Et quand l’Europe a rechuté en 2011, l’Afrique a accéléré. C’est le premier exemple frappant de découplage des marchés africains. Un phénomène qui ne peut qu’augmenter l’intérêt pour ce continent.
Au-delà de dysfonctionnements conjoncturels, le plus souvent exogènes, liées par exemple aujourd’hui au ralentissement de la demande de matières premières chinoises, les fondamentaux de la croissance sont là. En Afrique, la population croît de 2,5 à 3% par an et le revenu par tête s’accroît lui-même de 2% par an. Une dynamique de consommation s’est installée et des classes moyennes se sont développées, celles-ci étant aujourd’hui estimées à 200 millions sur 1,2 milliard d’habitants.
Alors que la fécondité diminue, le moteur de la croissance démographique réside aujourd’hui dans l’éducation et la santé, qui sont des besoins solvables. Dans 30 ans, la population de l’Afrique aura doublé, passant à 2,4 milliards d’habitants, dont 60% d’urbains. Parallèlement, l’Afrique vient de faire la démonstration que sa production agricole était capable de suivre cette augmentation de population.
Quels sont les principaux secteurs de croissance ?
Cette dynamique de consommation garantit des croissances importantes pour les biens de consommation et la construction. On assiste par exemple à un développement incroyable du second œuvre du bâtiment. Les industries de matériaux de construction progressent en moyenne de 12% par an sur le continent. L’eldorado pour la vente de cuisines, c’est l’Afrique ! Le record des marges sur les salles de bain, c’est aussi l’Afrique !
Les télécommunications se développent à grande vitesse. En Côte d’Ivoire par exemple, il y a quasiment autant d’abonnés au mobile que d’habitants. Les fermes de serveurs se multiplient, tout comme les tours de téléphone, dont les revenus très prévisibles attirent les sociétés de private equity. C’est la première fois que l’Afrique va être première dans certains usages des nouvelles technologies.
Contrairement à certaines idées reçues, l’Afrique n’est pas un continent agricole. L’agriculture en Afrique contribue à hauteur de 20% au PIB. L’Afrique, c’est d’abord de la logistique, du commerce, des télécoms, des services financiers, des services à la personne, aux entreprises… Que ces derniers soient distribués de manière formelle ou informelle. L’Afrique est d’abord un continent tertiaire et il existe de nombreuses opportunités dans ce domaine. Tout ce qui a trait aux besoins de base et à la consommation courante est sécurisé par nature : nourrir, désaltérer, loger, soigner, éduquer… C’est ce qui fait de l’Afrique un continent rentable, et moins risqué qu’on ne le croit.