Comment les PME gèrent-elles le risque de contrefaçon dans leur développement international ? Manal El Bekkari, doctorante à l’IAE Lyon 3, s’est penchée sur ce sujet à partir d’entretiens avec des PME industrielles françaises concernées.
Pour les PME actives à l’international, quels sont les enjeux liés au risque de contrefaçon ?
Les PME sont aussi vulnérables que les grandes entreprises à l’atteinte à leurs droits de propriété intellectuelle mais, en raison de leurs ressources limitées, elles ont plus de mal à mettre en œuvre des stratégies de protection. Elles sont aussi moins bien armées pour encaisser le choc d’un dommage financier important. Car l’enjeu majeur, c’est d’abord la perte de chiffre d’affaires, mais à plus long terme, c’est aussi l’image de marque de l’entreprise.
Comment les PME abordent-elles cette problématique ?
Cette question est le plus souvent traitée de manière juridique et après que la contrefaçon a été constatée. Il est souvent trop tard, aussi beaucoup de PME se découragent devant la difficulté et le coût des procédures pour réclamer leurs droits, sachant que l’on ne peut parler de contrefaçon si l’on n’a pas de titre de propriété. A moins d’avoir déjà connu des expériences malheureuses à cet égard, les PME en général sont peu conscientes de l’intérêt de se protéger et d’anticiper la contrefaçon, surtout lorsqu’elles se lancent à l’international pour y saisir des opportunité : elles ont tendance à sous-estimer les risques et si leurs produits sont contrefaits, c’est l’effet de surprise qui domine.
Quelles sont les principales sources de risque ?
Les facteurs déclencheurs peuvent être externes ou internes ou externes à l’entreprise. Les sources externes de contrefaçon varient avec le mode d’entrée dans le pays visé. Le risque peut venir des clients ou des concurrents, mais le plus souvent, des distributeurs et de leurs revendeurs. Les choses se compliquent en cas de sous-traitance industrielle, avec des risques au niveau des fournisseurs, qui se multiplient avec la sous-traitance en cascade. Les sous-traitants en effet peuvent alimenter un « grey market » avec des produits fabriqués à l’identique, dans la même usine, vendus sous la marque d’origine ou non, mais en utilisant les mêmes techniques (moules, outillages, modèles, etc.). Enfin, lorsque l’on possède une filiale et qu’on y transfère son savoir-faire on est très vulnérable aux intentions malhonnêtes de la part d’employés, d’un partenaire local ou d’un sous-traitant.
Et les sources internes ?
Il existe également chez les PME un manque de conscience des sources de risque internes. Le contrôle de la chaîne de production n’est parfois pas suffisant notamment auprès des sous-traitants, pour bien se protéger contre le risque de voir des produits supplémentaires circuler sur le marché. La sécurisation des prototypes et des process laisse à désirer. Le risque de piratage par un ex-collaborateur mécontent, déloyal ou un stagiaire mal intentionné est souvent sous-estimé. Par ailleurs, l’attention portée aux visiteurs accueillis dans les usines n’est pas toujours très rigoureuse.
Quels sont les moyens de se protéger ?
Pour commencer il faut intégrer le risque de contrefaçon dans le choix du pays et du partenaire local. Ensuite seule la détention d’un titre de propriété industrielle permet de mener une action en justice contre la contrefaçon et de réclamer son droit; mais cette protection juridique est très coûteuse et peu de PME ont recours au dépôt de brevets, surtout qu’il nécessite préalablement d’exposer les procédés à protéger. Bien souvent les entreprises ne déposent des brevets que lorsqu’elles le jugent vraiment nécessaire, par exemple lors de l’ouverture d’une filiale en Chine, ou qu’elles pensent pouvoir rentabiliser durablement le brevet. Le dépôt d’une marque est lui beaucoup moins coûteux et il est souvent utile, reste néanmoins sous-utilisé.Sur le plan du produit, il y a des solution de protection technologique, en utilisant des outils de traçabilité (de type QR Code, codes barres,ou blockchain) qui permettent immédiatement de détecter un produit contrefait ; c’est un moyen efficace de se protéger.
Les bonnes pratiques qu’une PME peut adopter
Quand on s’engage à l’international, il faut créer un système de veille pour observer les produits disponibles sur le marché et repérer d’éventuelles contrefaçons. Il faut aussi communiquer sur le sujet, d’abord en interne pour installer une forme de vigilance, et aussi, si besoin, à l’externe, vers les clients, pour qu’ils remontent de l’information. L’innovation et le renouvellement rapide des offres sont aussi un bon moyen de se protéger. Il convient également d’être vigilant sur le transfert de connaissance et sur la protection des prototypes, mais aussi avec les stagiaires et les collaborateurs, de bien contrôler les déperditions et les non-conformités, qui sont une source de contrefaçon, et de mettre en place une organisation du partage de l’information fondée sur le concept de ” need to know” : dans l’entreprise chacun ne doit avoir accès qu’aux informations auxquelles il a besoin d’accéder.
Voir la fiche « PME À L’INTERNATIONAL : 6 CONSEILS POUR SE PROTÉGER DE LA CONTREFAÇON ».
Allez plus loin : Quelques chiffres sur la contrefaçon
Selon une étude de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) publiée en juin 2018, la contrefaçon fait perdre chaque année 60 milliards d’euros à un ensemble de 13 secteurs de l’économie européenne. Cette enquête, menée auprès des secteurs vulnérables à la contrefaçon, montre que les pertes directes annuelles atteignent 7,5 % des ventes. Pour la France, l’étude estime la perte à 5,8 % des ventes des secteurs concernés, soit 6,8 milliards d’euros.
Les 13 secteurs étudiés : produits cosmétiques et de soins personnels ; habillement, chaussures et accessoires ; articles de sport ; jouets et jeux ; articles de bijouterie et d’horlogerie ; articles de maroquinerie et bagages ; musique enregistrée ; spiritueux et vins ; produits pharmaceutiques ; pesticides ; smartphones ; batteries ; pneumatiques.
Selon un rapport de l’OCDE et de l’EUIPO publié en avril 2016, l’échange de produits contrefaits dans le monde représentait 461 milliards de dollars par an en 2013, soit 2,5 % de l’ensemble du commerce mondial. Selon cette étude, les produits piratés représentent dans l’Union Européenne jusqu’à 5 % de l’ensemble des importations, soit 85 milliards d’euros.
Produits les plus contrefaits dans le monde (2013) :
– électronique (121 milliards de dollars) ; (Chine, Thaïlande, Corée) ;
– bijoux (41 milliards) ; (Chine, Corée) ;
– équipement optique et photographique (29 milliards) ; (Chine, etc.) ;
– vêtements (28 milliards) ; (Chine, Turquie) ;
– produits pharmaceutiques (16 milliards) ; (Inde, Chine) ;
– produits alimentaires (12 milliards) ; (Chine, Inde, Pakistan, Indonésie, Turquie).
Source : rapport OCDE /EUIPO, avril 2016
Principaux pays producteurs de contrefaçons (2013) :
– Chine (63 % des produits saisis entre 2011 et 2013) ;
– Hong-Kong (Chine) (21 %) ;
– Turquie (3,3 %) ;
– Singapour (1,9 %) ;
– Thaïlande (1,6 %) ;
– Inde (1,2 %) ;
– Maroc (0,6 %) ;
– Emirats Arabes Unis (0,5 %) ;
– Pakistan (0,4 %) ;
– Egypte (0,4 %).
Source : rapport OCDE /EUIPO, avril 2016
Autres pays de production de contrefaçons :
– En Asie : Malaisie, Philippines, Indonésie, Cambodge, Bangladesh.
– En Afrique : Ethiopie, Kenya, Maroc, Tunisie.
– En Amérique : Mexique.
Principales zones de transit de la contrefaçon :
– En Asie : Hong-Kong, Macao, Singapour.
– Au Moyen-Orient : Emirats Arabes Unis, Egypte, Iran, Arabie Saoudite, Koweit, Yemen.
– En Afrique : Maroc, Nigéria.
– En Europe : Azerbaïdjan, Arménie, Ukraine, Albanie.
– En Amérique : Bélize, Panama, Paraguay.
Source : Les Echos / OCDE (2017)