L’interaction entre l’innovation et la performance internationale a été mise en évidence par plusieurs chercheurs. Mais il est plus difficile d’identifier les facteurs DETERMINANTS DE L’INNOVATION qui conduisent les PME à proposer de nouveaux produits sur les marchés étrangers . Eclairage d’Oksana Kantaruk, doctorante à l’Université de Lorraine (laboratoire CEREFIGE).
Dans quel contexte vos recherches s’inscrivent-elles ?
De nombreuses études académiques se sont intéressées aux déterminants de l’innovation. Les auteurs distinguent des déterminants internes, relatifs aux compétences et aux ressources organisationnelles de l’entreprise, et des déterminants externes, liés aux collaborations avec d’autres acteurs de la chaîne de valeur (clients, distributeurs, fournisseurs) et des centres de connaissances (cabinets de conseil, universités), ainsi qu’à l’accompagnement institutionnel.
Mais les résultats de ces études sur l’impact des différents facteurs restent assez hétéroclites. L’objectif de notre recherche était d’explorer les déterminants de l’innovation au sein des PME exportatrices françaises et ukrainiennes en comparant leurs pratiques en matière d’innovation et en se focalisant sur les facteurs externes.
Pourquoi avez-vous choisi de comparer les PME françaises et ukrainiennes ?
Cette comparaison de deux environnements institutionnels différents vise à mieux comprendre les particularités du développement des activités liées à l’innovation et à l’export dans les économies développées d’une part et dans les pays dits en transition d’autre part. Au cours des 28 dernières années, l’Ukraine a connu des transformations profondes, notamment le passage à un régime politique démocratique et à l’économie de marché. Son économie en transition est marquée par de fortes inégalités, un taux de chômage élevé, un déficit d’accès aux financements, un faible contrôle de la corruption et un risque assez élevé de violences et de terrorisme. De plus, dans les économies post-communistes, le développement commercial est fondé avant tout sur le réseau personnel et la capacité professionnelle du dirigeant.
Comment avez-vous organisé votre étude ?
Nous avons rencontré 20 dirigeants ou responsables export d’entreprises de production de secteurs variés (agroalimentaire, PVC, énergie, bois, aérospatial, chimie, textile). Avec chaque répondant, nous avons abordé quatre thématiques : l’activité exportatrice, et en particulier le développement et l’importance accordée à l’export, ainsi que les connaissances nécessaires pour s’internationaliser ; l’innovation, et notamment le développement de nouveaux produits ou de produits modifiés au cours des cinq dernières années ; les sources d’innovation, en interne ou à l’extérieur de l’entreprise ; l’environnement institutionnel, domestique et étranger.
Quelles sont les pratiques de ces PME en matière d’innovation ?
Les clients apparaissent comme la principale source de l’innovation voire comme de véritables co-développeurs des produits. Il en est ainsi des partenaires commerciaux étrangers. Les managers français et ukrainiens disent travailler avec eux dans le développement de collaborations basées sur la confiance. Les Ukrainiens soulignent même l’importance de relations proches, presque amicales, avec leurs clients et leurs partenaires commerciaux. Aussi, des partenariats avec des fournisseurs et centres de connaissance (universités, instituts de recherche) permettent d’assurer le monitoring technologique, pratique courante au sein des organisations étudiées.
Quid de l’environnement institutionnel et du rôle de l’Etat ?
Nous savons que ’l’Etat peut jouer un rôle important dans l’accompagnement des entreprises à l’export et dans le soutien à l’innovation. Il existe dans ce domaine de fortes différences entre les PME françaises et ukrainiennes. Les managers français disent avoir accès à de nombreux instruments d’accompagnement à l’export et à l’innovation et en sont globalement satisfaits, même s’ils soulignent la complexité des procédures. L’environnement institutionnel est très différent pour les PME ukrainiennes, qui sont très critiques vis-à-vis de l’action de l’Etat, dénonçant le manque de transparence, la pression institutionnelle, la bureaucratie et la corruption.
Quelles sont les principales différences en matière d’exportation observées entre l’Ukraine et la France ?
Les entreprises se distinguent par la durée de l’activité exportatrice et le chiffre d’affaires généré à l’export. Les PME ukrainiennes exportent depuis moins longtemps que les PME françaises, ce qui peut s’expliquer en partie par leur durée d’existence, la création d’entreprises privées n’étant possible en Ukraine que depuis 1991. Elles semblent aussi exporter plus si on considère la part de chiffre d’affaires générée à l’export, notamment parce que l’exportation leur apparaît comme un bon moyen d’échapper à un environnement domestique contraignant. En revanche, les deux catégories de répondants utilisent aussi bien les modes d’exportation directs que les modes indirects.
Quels sont les résultats de cette étude en ce qui concerne la connaissance des marchés et des clients ?
Les entrepreneurs français estiment avoir une bonne connaissance des marchés export. Les clients et les partenaires commerciaux sont leurs principales sources de connaissances. Les managers français font aussi appel aux instruments de monitoring proposés par les institutions publiques comme les chambres de commerce (missions commerciales, études de marché, etc.).
A contrario, les répondants ukrainiens disent ne pas avoir une bonne connaissance des marchés export ni des clients finaux. Ils considèrent que cette information, qui leur est transmise par les intermédiaires commerciaux sur place, peut ne pas être assez complète. Par ailleurs, les PME ukrainiennes ne font pas appel aux institutions publiques car elles ne font pas confiance aux représentants de l’Etat.
Par contre, les managers, qu’ils soient français ou ukrainiens, tiennent compte des spécificités culturelles pour adapter les produits aux goûts et aux normes en vigueur sur les marchés ciblés.