Les PME qui s’internalisent précocement affichent de meilleures performances à l’export. Mais avec le temps et la croissance de leurs effectifs, elles tendent à perdre leur avantage. Les explications d’Alfredo d’Angelo, professeur associé de commerce international à l’Université Catholique du Sacré Cœur, à Milan.
Une PME a-t-elle intérêt à s’internationaliser rapidement après sa création ?
C’est l’un des principaux débats de la recherche en matière d’« international entrepreneurship » (IE) : vaut-il mieux pour une PME entrer sur les marchés étrangers peu de temps après sa création ou au contraire attendre d’avoir bien consolidé son marché domestique avant de se lancer progressivement à l’export ? Certains auteurs considèrent qu’une internationalisation précoce représente un risque important et soulignent les effets négatifs d’un tel choix sur le taux de survie des entreprises. D’autres affirment au contraire que le fait de profiter des avantages du « précurseur » (« first mover advantage») a des conséquences positives à long terme pour l’entreprise.
Que dit la littérature académique sur ce sujet ?
La littérature académique considère qu’une PME qui s’internationalise est soumise à certains handicaps. Le premier est lié au fait d’être étranger sur le marché, ce qui entraîne des coûts supplémentaires par rapport à une entreprise locale. Le deuxième a trait à la petite taille des PME et à leurs ressources humaines et financières limitées. Ces deux éléments plaident en faveur de la nécessité d’apprendre d’abord sur son marché domestique avant de s’internationaliser, avec une approche graduelle, sur le modèle d’Uppsala. Mais la réalité a montré qu’il existait de jeunes entreprises, en particulier dans l’industrie du hi-tech, capables d’aller à l’étranger peu de temps après leur création, sans passer par un apprentissage graduel de l’export. Ces entreprises ont été baptisées les « born global » ou les « international new ventures ».
Sur quoi repose cette capacité à s’internationaliser précocement ?
Des auteurs ont montré que la capacité à s’internationaliser de manière rapide et précoce de certaines start-up reposait avant tout sur la mentalité « orientée export », les compétences internationales et les réseaux des fondateurs de ces entreprises, acquis lors d’expériences professionnelles antérieures. Ce phénomène de l’internationalisation précoce inspire l’ensemble de la littérature académique dédiée à l’« international entrepreneurship » (IE), fondée sur l’idée que les entreprises peuvent s’internationaliser dès leur création en exploitant « les avantages de la nouveauté dans le processus d’apprentissage » – the « learning advantages of newness » (LAN).
Qu’est ce que le LAN ?
Ce concept de LAN suggère que les jeunes entreprises présentent des avantages structurels, cognitifs et de positionnement par rapport aux entreprises établies. L’avantage structurel résulte du fait que les nouvelles entreprises développent moins de routines. L’avantage cognitif est lié au fait que les jeunes entreprises sont généralement moins spécialisées, plus souples et possèdent des structures moins hiérarchisées. Enfin, l’avantage de positionnement fait référence au fait que les nouvelles entreprises ont moins de liens intégrés avec des partenaires et des clients sur leur marché domestique que les entreprises établies.
Quels sont, dans ce contexte, les résultats de vos recherches ?
Nous avons travaillé sur des données provenant de 644 PME de l’industrie manufacturière de plus de 10 salariés, situées dans cinq régions européennes dynamiques de quatre pays : Lombardie (Italie), Catalogne (Espagne), Bavière (Allemagne), Bayern (Allemagne) et Rhône-Alpes (France). Nous avons bien vérifié, sur ce large échantillon de PME de divers niveaux technologiques et évoluant dans des contextes socio-politiques différents, qu’il existe bien une corrélation positive entre la précocité de l’exportation et les performances à l’exportation plusieurs années plus tard. Les PME qui s’internationalisent précocement sont donc capables de maintenir leur avantage de départ (LAN). Mais nous avons également montré qu’avec l’âge et/ou l’augmentation de la taille de l’entreprise, cet avantage initial diminue. Autrement dit, plus l’âge de l’entreprise (ou plus la taille de l’entreprise) est élevé(e), plus faible est le lien positif entre la précocité d’exportation et les résultats à l’exportation. Les PME développent en effet des attaches et des structures qui tendent à faire perdre cet avantage. Nous avons aussi montré que la centralisation de la structure de décision, notamment dans les entreprises familiales, exacerbe ces effets négatifs de la taille et de l’âge.
Comment dans ces conditions réinjecter de la « jeunesse » dans une entreprise, pour qu’elle retrouve de l’agilité à l’international ?
Il faut d’abord privilégier les structures de décisions décentralisées. Car la centralisation, particulièrement présente dans les entreprises familiales, exacerbe les effets sclérotiques de la taille et de l’âge. La décentralisation doit permettre au contraire de profiter de l’apport de nouvelles personnes, de nouvelles idées, de nouvelles connaissances…Il convient donc de limiter les routines, la spécialisation, la hiérarchisation et la centralisation des structures, mais également ne pas entraver sa liberté à l’international par des liens trop contraignants avec des partenaires ou avec des clients.