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Analyse du programme de Marine Le Pen sur les questions de commerce international

Analyse du programme de Marine Le Pen sur les questions de commerce international

Depuis sa fondation la Fabrique de l’Exportation analyse comment les Etats peuvent créer un écosystème favorable à l’internationalisation des entreprises ; au cours des dernières années nous avons ainsi abordé des sujets comme la renaissance industrielle,  les défis pour renouveler l’exportation française, la création de compétences en commerce international, la marque France, la structuration de l’offre française, l’extraterritorialité des lois, etc.

La Fabrique de l’Exportation associe donc force de proposition et analyse critique pour  améliorer la performance de l’écosystème exportateur français et lui permettre de contribuer davantage à la prospérité du pays.  Dans ce cadre, et dans le contexte de l’élection présidentielle 2022, le caractère particulièrement clivant du programme de Marine Le Pen en matière de commerce international nous conduit à mettre en lumière les incertitudes et les interrogations qu’il soulève pour l’internationalisation des entreprises françaises, et bien au-delà, pour le pouvoir d’achat, l’emploi et la prospérité du pays car la France est beaucoup plus connectée au commerce international qu’on ne le croit.

L’argumentaire du programme

En matière de commerce international, un des éléments les plus significatifs du programme de Marine Le Pen est le renforcement des contrôles aux frontières nationales; le rationnel sous-jacent est que la concurrence étrangère est déloyale, voire frauduleuse, et qu’il faut s’en protéger : «il s’agira de préserver une saine concurrence pour nos entreprises. Tout d’abord vis-à-vis de l’étranger. Cela passera par un renforcement significatif des contrôles des importations » (Programme, page 23) « La maîtrise des frontières est une condition indispensable à la lutte contre les fraudes. (…) Les graves défaillances dans ce domaine des mécanismes instaurés par l’Union européenne imposent de rétablir une surveillance nationale des frontières. (…). Pour ce faire, les effectifs de la douane retrouveront leur niveau de 1990 » (P.19-20 projet de lutte contre la fraude)

Cet argument trouve une déclinaison en matière agricole : « il est important d’améliorer la lutte contre les importations frauduleuses qui nuisent à la santé des Français et ruinent nos agriculteurs.» (Programme p.27)  « le dogme du libre-échange nous impose l’importation en Europe de produits agricoles à bas coûts et de piètre qualité, souvent issus d’exploitations ne respectant pas nos normes. » (projet agriculture p.4)  « j’exclurai l’agriculture du champ des traités de libre-échange.” (projet agriculture p.10)

Cette mesure trouve son prolongement dans une interdiction des importations pour la restauration collective : « je souhaite que soit mis en place un nouveau cadre réglementaire permettant d’inverser cette tendance et de faire en sorte que la restauration collective française soit fournie pour 80 % au moins par des produits alimentaires issus de notre agriculture. » (Programme p.26)

Eléments de contexte

Dans toutes ces propositions, la sémantique utilisée semble suggérer que les accords signés par l’UE ouvrent les frontières sans contrepartie. Or ce n’est clairement pas le cas, les accords commerciaux négociés par l’UE comportant en réalité toute une batterie d’engagements en termes de règles, de respect des normes, etc.

Plus largement le cadre européen est totalement passé sous silence : 

  • Les contrôles aux frontières de la France pour les échanges  avec les autres pays de l’UE sont impossibles en vertu du principe de libre circulation des marchandises dans l’UE. Et les contrôles aux frontières de la France en ce qui concerne le commerce avec les pays tiers (hors UE) existent déjà.
  • L’UE protège déjà ses membres des cas de concurrence déloyale des importations : elle utilise très largement les instruments de défense commerciale : anti-dumping, anti-subventions, clauses de sauvegarde. Un « Chief enforcement officer » (Denis Redonnet) s’assure que les engagements de nos partenaires commerciaux sont respectés.
  • Les produits présentant des risques sanitaires sont déjà tracés depuis 1979 aux frontières et à l’intérieur de l’UE par un système d’alerte communautaire : RASFF – Rapid Alert System for Food and Feed, qui associe également la Norvège, la Suisse, l’Islande et le Liechtenstein.
  • Les décisions concernant les accords commerciaux relèvent de la majorité qualifiée. L’exclusion de l’agriculture du champ des accords commerciaux n’est possible que s’il n’y a une majorité qualifiée pour le faire (et la France est isolée sur ce sujet). Seuls les accords mixtes (concernant par exemple l’investissement direct étranger) nécessitent une ratification par les parlements nationaux. La France n’a pas de droit de veto en matière commerciale sur les accords « non-mixtes ». L’exemple du CETA évoqué dans le programme est doublement trompeur : il a été adopté par l’Assemblée nationale car il s’agit d’un accord mixte.

Conséquences attendues du programme

Les mesures envisagées ne pourraient  raisonnablement pas être mises en oeuvre  sans une sortie de la France de l’UE (et donc de l’euro)

Les mesures proposées sont totalement contraires aux règles européennes en matière de commerce intracommunautaire. Aucun pays de l’Union européenne ne remet en cause le libre échange intracommunautaire, donc pour appliquer ce programme la France serait amenée à se mettre en marge de l\’Union européenne, à y perdre sa légitimité et son influence, et probablement à en sortir, entraînant par là-même une sortie de l’euro.

Les mesures envisagées seraient défavorables au pouvoir d’achat

En tant que tel, le « renforcement significatif des contrôles des importations » serait une mesure détruisant du pouvoir d’achat : il augmenterait le coût de commercer entre pays, et donc le prix des biens pour les consommateurs.

Le Brexit, qui inspire dans le programme l’argument de la prééminence du droit français sur le droit européen et les mesures commerciales annoncées, s’est accompagné d’un retour au contrôle aux frontières du Royaume Uni. Ceci a provoqué une désorganisation profonde des chaînes d’approvisionnement et a nourri l’inflation, et donc une perte de pouvoir d’achat. 

Une autre proposition est de lutter contre les fraudes à la TVA à l’occasion des échanges de biens entre Etats membres. L’intention est louable  mais ne peut pas justifier l’instauration de contrôles aux frontières : la fraude à la TVA porte en effet sur des échanges déclarés électroniquement, ce sont donc des data scientists plutôt que des douaniers et des frontières qui permettraient de la réduire.

Le protectionnisme agricole serait une mesure particulièrement contre-productive 

Dans le contexte actuel il risquerait en effet de provoquer :

  • Une forte baisse du pouvoir d’achat en raison de la hausse des prix alimentaires
  • Une pénurie de certains produits alimentaires de base
  • Des rétorsions commerciales immédiates de nos partenaires commerciaux : les marchés étrangers mettraient des barrières aux exportateurs de produits agricoles et agro-alimentaires français qui devraient licencier ; ils se fermeraient aussi aux exportations françaises de produits industriels.

La focalisation, voire l’obsession du “localisme”, nous semble reposer sur un amalgame simpliste entre la préférence des Français pour les circuits courts en matière alimentaire et la mise en place de protections aux frontières. Mais quand le “localisme” s’appuie sur des protections aux frontières dans une optique de quasi-fermeture, finit par être contre-productif pour le secteur agricole et agro-alimentaire français qui est un secteur essentiel pour nos territoires et notre économie.

En l’espèce, cette restriction d’importation ne serait applicable ni aux produits provenant d’autres États membres de l’UE (Marché unique) sans une sortie de l’UE, ni aux importations en provenance de pays tiers hors UE avec lesquels nous avons des accords commerciaux (politique commerciale de compétence communautaire). 

Les enjeux en termes de prospérité des entreprises et des territoires

Pour se développer et participer à la prospérité de leurs territoires, nos entreprises ont besoin d’accéder à un certain nombre de ressources à l’international (produits, services, technologies) qui sont indispensables à leur compétitivité, à leur innovation et à leur capacité à exporter. Elles ont aussi besoin dans de nombreux domaines, et notamment pour réussir à l’international, d’attirer les compétences et les talents de ressortissants étrangers. Toutes ces ressources jouent un rôle clé pour des secteurs aussi variés que l’agriculture, l’agroalimentaire, les nouvelles technologies, etc. ; sans elles, la capacité des entreprises françaises à se développer, y compris à l’international, et donc à dégager de la richesse pour notre pays et à créer de l’emploi, serait considérablement affaiblie.

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