surtaxes sur les voitures chinoises

Les réponses stratégiques des constructeurs automobiles chinois face aux mesures protectionnistes de l’UE
Carole Jean-Amans, maître de conférences en sciences de gestion à l’Université Toulouse Paul Sabatier, et Philippe Jean-Amans, enseignant-chercheur à l’Université Toulouse Jean Jaurès, ont étudié les stratégies d’adaptation des constructeurs automobiles chinois aux surtaxes adoptées par l’Union européenne en 2025. Revue de détail.
Quel est le contexte de votre recherche ?
Carole Jean-Amans : L’environnement international est aujourd’hui marqué par de fortes incertitudes et une grande instabilité, exacerbées par les mesures prises récemment par Donald Trump, qui bouleversent les chaînes de valeur mondiales. Depuis quelques temps, on remarque une volonté de certains Etats de renforcer leur souveraineté nationale, ce qui se traduit notamment par des mesures de protectionnisme comme l’augmentation des droits de douane, la mise en place de droits antidumping ou encore l’application de mesures non tarifaires. On constate également un paradoxe : malgré la multiplication des accords commerciaux ces dernières années, entraînant la chute de barrières commerciales traditionnelles, on assiste simultanément à une montée des droits antidumping.
Comment l’Europe a-t-elle réagi à l’arrivée massive des voitures électriques chinoises ?
C. J.-A. : La Commission européenne a diligenté une enquête anti-subventions en octobre 2023. Elle portait sur l’ensemble de la chaîne de valeur des constructeurs chinois de véhicules électriques, notamment les subventions accordées à des activités très diverses comme l’extraction de matières premières nécessaires à la production de batteries, la chaîne de production des véhicules électriques (BEV, Battery Electric Vehicles), mais aussi aux services de transport maritime pour acheminer les véhicules vers les ports de l’UE. Cette enquête a donné lieu à la mise en place, en octobre 2024, de droits compensateurs appelés droits antidumping, pour chacun des constructeurs, en plus des droits de douane de 10 % existants.
Dans quelle mesure la Chine appuie-t-elle ses constructeurs de véhicules électriques ?
C. J.-A. : La production de véhicules électriques est l’une des dix industries prioritaires soutenues par le plan stratégique national Made in China 2025, élaboré dès 2015. Ce programme avait pour ambition de permettre à la Chine de passer de son usage d’usine du monde au statut de grande puissance industrielle. Il s’est traduit par des investissements massifs et l’obligation pour les partenaires étrangers de s’associer à des partenaires locaux pour transférer une partie de la technologie. La Belt and Road Initiative (BRI) s’est également traduite par des investissements massifs dans les infrastructures de transport et de logistique, pour faciliter les échanges vers les pays de destination, ainsi que les investissements directs étrangers dans les pays concernés.
Que savons-nous des collaborations existantes mises en place par les constructeurs automobiles chinois ?
Philippe Jean-Amans : Le maillage des collaborations industrielles et commerciales entre les constructeurs chinois et européens mais aussi américains, coréens, indiens et japonais, est dense et complexe. Les constructeurs ont construit tout un réseau de coopérations, très souvent sous forme de joint ventures, et sont désormais engagés dans une véritable « coopétition » (à la fois coopération et compétition). On peut par exemple citer…
Quelle est la méthodologie utilisée pour votre recherche ?
P. J.-A. : La collecte de données a été réalisée en deux étapes. Nous avons d’abord mobilisé des bases de données et d’informations, combinées au recueil de données secondaires issues de la presse économique. L’intérêt était de pouvoir recenser les projets d’implantation des constructeurs chinois au sein de pays autres que la Chine. Puis nous avons utilisé une approche comparative des cas étudiés, afin d’identifier les différentes stratégies de conquête de marchés étrangers de ces différents constructeurs, en observant les projets d’implantation de sites de production, à venir ou déjà réalisés. Enfin, à partir de l’ensemble de ces informations, nous avons mené une analyse pour proposer une classification des différentes réponses d’ajustement de ces constructeurs aux mesures de rétorsion de l’Europe telles que les droits antidumping.
Quels sont les constructeurs chinois que vous avez étudiés ?
P. J.-A. : Nous avons étudié les cas des 13 principaux producteurs de véhicules électriques en Chine : les 12 plus grands constructeurs chinois (SAIC, BYD, Chery, BAIC, Geely, GWM, Changan, JAC, DongFeng, LeapMotor, FAW, GAC) et Tesla, unique constructeur occidental à posséder en propre une usine de production en Chine. Parmi les cas étudiés, figure par exemple SAIC (marque MG), une entreprise publique chinoise qui bénéficie de co-entreprises avec Volkswagen et GM, possède des sites de production au Pakistan, en Inde, en Indonésie et en Thaïlande, et développe plusieurs projets d’implantation (Nigeria, Espagne, Turquie, Egypte et Mexique). L’enquête européenne a conduit à une taxation maximale pour ce constructeur (35,8 %). On retrouve également BYD, premier constructeur mondial de voitures électriques – devant Tesla depuis fin 2024. BYD est une entreprise privée, déjà présente en Ouzbékistan, en Egypte et en Thaïlande, qui développe des projets d’implantation en Turquie, en Hongrie, au Pakistan, en Indonésie, au Mexique et au Brésil. BYD subit un taux de droit antidumping (17 %) divisé par deux par rapport à SAIC, parce que ce dernier, en tant qu’entreprise publique, bénéficie de subventions plus importantes de l’Etat, et que sa collaboration à l’enquête est restée en deçà des attentes de l’UE.
Nous avons par ailleurs observé que les implantations des 13 principaux constructeurs de véhicules électriques en Chine se situent partout dans le monde, sauf pour Tesla qui a décidé pour l’instant d’être présent aux USA, en Allemagne et en Chine, et a gelé ses autres projets d’implantation.
Quels sont les différents taux de droits antidumping appliqués à ces constructeurs ?
C. J.-A. : Le taux de ces droits a été modulé selon le degré de participation ou de réticence du constructeur à collaborer à l’enquête et selon le niveau de subventions accordées aux constructeurs par le gouvernement chinois. Les enquêteurs ont ainsi pu déterminer des niveaux dits “de conformité” Dans les cas que nous avons sélectionnés, ce taux s’étend de 7,8 % pour Tesla à 35,3 % pour SAIC. Ce dernier est dans une position dite de “sous-conformité”. Les autres constructeurs sont en position de “conformité”, avec des taux allant de 17 à 21 %. Le seul en position de “sur-conformité” est Tesla, unique entreprise à bénéficier d’un taux aussi faible (7,8 %). Tesla a en effet anticipé l’enquête antisubventions en demandant à l’UE un traitement particulier, justifié par le fait que c’est une entreprise étrangère non engagée dans une co-entreprise en Chine. Cette démarche d’anticipation (et de lobbying efficace, il faut le préciser) lui a fait bénéficier de conditions beaucoup plus favorables.
Quelles sont les grands type de réponses stratégiques mis en évidence par votre étude ?
C. J.-A. : Nous avons pu identifier cinq types de réponses stratégiques aux droits antidumping : le contournement par les alliances, par les pays d’implantation, par le process de production, la compensation par les prix, et le retrait ou la suspension des investissements.
En quoi consiste le contournement par les alliances ?
C. J.-A. : L’accès aux ressources clés des partenaires via la constitution d’alliances constitue une réponse stratégique permettant de contourner les droits antidumping. L’appareil productif européen est actuellement surdimensionné ; les constructeurs chinois en profitent pour mobiliser les infrastructures de leurs partenaires afin de développer des chaînes de production et vendre leurs véhicules sur des marchés autres que la Chine. Par exemple, la création par Chery d’une co-entreprise avec un groupe espagnol va lui permettre d’utiliser l’ancien site industriel de Nissan à Barcelone. De même, la création par Geely d’une co-entreprise avec Renault en 2022 va lui permettre de bénéficier des infrastructures du groupe français à Palencia, en Espagne, pour produire ses voitures électriques en Europe. LeapMotor adopte la même stratégie : la création d’une co-entreprise avec Stellantis en 2024 va lui permettre de produire le modèle T03 dans une usine de Stellantis en Pologne.
Comment fonctionne le contournement par les pays d’implantation ?
C. J.-A. : Cette stratégie peut être mise en oeuvre selon trois modalités : par l’implantation d’usines au sein de l’UE, ou bien de sites de production dans des pays tiers à l’UE bénéficiant d’accords préférentiels avec l’UE, ou encore l’implantation d’usines dans des pays tiers à la Chine dans le but de ré-exporter des véhicules en Europe. La première modalité est illustrée par le projet de BYD de créer un site de production en Hongrie en 2025, par celui de SAIC (MG) de construire une usine en Espagne en 2027, et par celui de DongFeng d’implanter une usine en Italie. La deuxième est utilisée par BYD, qui projette de créer un site de production en Turquie en 2025, ainsi que par SAIC (MG), Chery et GWM, qui projettent d’implanter une chaîne d’assemblage en Turquie, ou encore par Geely, qui souhaite implanter au Vietnam une usine d’assemblage de véhicules en kits importés de Chine. La troisième stratégie est déployée notamment par SAIC (MG) et GAC Motor, qui sont tous deux déjà opérationnels en Thaïlande, ou encore par Chery et Changan, qui projettent de créer en 2025 des sites de production dans ce même pays.
Quelles sont les techniques du contournement par le process de production ?
P. J.-A. : Les techniques mises en œuvre sont ici celles du Semi Knock Down (SKD), qui consiste à importer les principaux composants fabriqués en Chine pour les assembler dans des sites implantés au sein de marchés de destination des véhicules finis, ou celle du Complete Knock Down (CKD), qui consiste à importer des kits de véhicules complets pour les assembler localement. Dès l’annonce des taux antidumping par l’UE, l’assemblage en Pologne de kits directement livrés par les usines chinoises a ainsi été mis en œuvre par LeapMotor, dans le cadre de sa co-entreprise avec Stellantis. Mais cette production a été arrêtée le 31 mars 2025, lorsque les différents pays de l’UE ont décidé de légiférer pour n’accorder le bonus écologique qu’aux véhicules effectivement produits en Europe – et pas seulement assemblés. De leur côté, Chery et SAIC (MG) ont choisi d’importer des kits de véhicules complets pour les assembler localement. Mais ils sont également confrontés aux nouvelles modalités de bonus écologique qui affectent leur compétitivité.
En quoi consiste la compensation par les prix ?
P. J.-A. : Il s’agit de compenser les taxes supplémentaires des droits antidumping par des subventions accordées par le gouvernement chinois, pour maintenir la position concurrentielle sur le territoire taxé. Cela passe également par le renforcement des pressions exercées sur les équipementiers, dont certains se sont vu imposer une baisse de prix de l’ordre de 10 % (BYD).
Qu’en est-il du retrait ou de la suspension des investissements ?
P. J.-A. : Pékin a demandé aux constructeurs chinois, notamment BYD, SAIC et Geely, d’éviter tout investissement au sein des pays de l’UE qui se sont favorablement prononcés pour les droits antidumping (seuls cinq d’entre eux s’y sont opposés : l’Allemagne, la Hongrie, la Slovénie, la Slovaquie et Malte). C’est ainsi que Chery a déjà décidé de reporter son projet d’ouvrir une usine en Espagne, le pays s’étant abstenu lors du vote des droits compensateurs.
Quelles sont globalement les principales conclusions de votre étude ?
C. J.-A. : D’abord, notons que ces différentes stratégies de contournement des droits antidumping ne sont pas exclusives les unes des autres : les constructeurs chinois peuvent combiner plusieurs réponses. Ils peuvent, dans le même temps, se conformer aux contraintes institutionnelles et développer diverses stratégies de contournement des barrières en place ou à venir. Les entreprises chinoises font preuve d’une redoutable capacité de résilience et d’adaptation aux environnements institutionnels instables, ce qui leur permet de trouver très rapidement des solutions alternatives pour contourner les différentes barrières. On observe aussi actuellement un recentrage de certains constructeurs comme BYD sur des modèles hybrides (PHEV, MHEV), ce qui leur permet de contourner les droits de douane tout en répondant aux exigences des consommateurs locaux.
P. J.-A. : On observe aussi que les constructeurs chinois nouent de plus en plus de co-entreprises avec des constructeurs occidentaux sur les moteurs thermiques. Ces derniers doivent donc se montrer prudents s’ils ne veulent pas perdre aussi leur avance technologique dans ce domaine. Enfin, il serait intéressant de comparer l’influence de l’augmentation massive des barrières tarifaires imposées par le gouvernement US sur les stratégies d’ajustement des constructeurs chinois.
surtaxes sur les voitures chinoises
surtaxes sur les voitures chinoises
surtaxes sur les voitures chinoises
surtaxes sur les voitures chinoises
surtaxes sur les voitures chinoises
surtaxes sur les voitures chinoises