Les opportunités du protectionnisme US

La guerre commerciale avec les Etats-Unis est aussi une opportunité pour la France et l’Europe
Depuis quelques mois, les Etats-Unis déploient une politique à la fois protectionniste et mercantiliste avec l’objectif de protéger les entreprises américaines face à la concurrence étrangère en utilisant comme levier des droits de douane. Menée avec rudesse, et selon une approche plus opportuniste que stratégique, cette nouvelle posture des États-Unis présente des dangers évidents, comme la menace récente d’appliquer des droits de douane de 50% sur les produits européens, menace dont l’exécution a été reportée d’un mois… Mais cette approche violente de la politique commerciale engendre aussi des opportunités pour la France et l’Europe.
Le poids économique des entreprises françaises implantées aux USA
Tout d’abord il est important de rappeler que la relation économique entre la France et les États-Unis ne se limite pas aux seules exportations de biens. Les filiales françaises implantées aux États-Unis jouent un rôle considérable. Leur chiffre d’affaires consolidé atteint la somme impressionnante de près de 350 milliards d’euros. Ce montant est nettement supérieur au total des exportations françaises vers les États-Unis, qui s’élèvent à environ 50 milliards d’euros pour les biens ; les exportations de services sont aussi significatives, à 30 milliards d’euros. Cela démontre aussi une intégration économique profonde qui va au-delà des seuls échanges de marchandises. Ainsi la part des échanges économiques franco-américains impactés par les droits de douane est-elle relativement limitée.
Les limites du pouvoir du Président des Etats-Unis
Le Président américain s’appuie sur la loi IEEPA (International Emergency Economic Powers Act) pour prendre ses décisions douanières. Toutefois, la politique commerciale se décide au Congrès, et le Président ne peut prendre des décisions dans ce domaine que s’il peut justifier d’une notion d’urgence ou de risque sur la sécurité des Etats-Unis. C’est pourquoi, au-delà des coups de poker de courte durée (cf. la hausse vertigineuse des droits de douane avec la Chine qui n’a duré que quelques semaines ), des procédures judiciaires pourraient potentiellement contester la légalité de l’ensemble des droits de douane décidés par Trump.
Impact négatif sur l’économie américaine
Une étude menée par l’Université de Yale et Budget Lab analyse les répercussions des droits de douane imposés le 9 avril. Selon cette étude, ces mesures pourraient entraîner une augmentation de l’inflation aux États-Unis estimée à environ 2,9% dès 2025. De plus, elles auraient un effet négatif sur le Produit Intérieur Brut (PIB) américain, évalué à -0,6 %. Pour le consommateur américain, cela se traduirait par un coût supplémentaire significatif, estimé en moyenne à 4 700 dollars par foyer. Le constructeur automobile veut se protéger des importations de voitures mais ne veut pas entendre parler de droits de douanes sur les pièces détachées, l’équipementier veut des droits de douane sur les pièces détachées mais pas sur l’acier, le producteur d’acier veut augmenter les droits de douane sur l’acier, etc. Chacun entend se protéger et à la fin c’est le consommateur qui paie pour tous.
Un échiquier commercial en profonde mutation
Cette période que l’on qualifie de « guerre commerciale » est en réalité une phase de réorganisation des flux commerciaux mondiaux. Les quantités produites et les quantités consommées ne changent pas vraiment, mais les tensions géopolitiques rebattent les routes commerciales. Le commerce international n’est pas bloqué, il est en train de se redéfinir. Les Chinois achètent davantage de soja au Brésil, et moins aux Etats-Unis ; du coup les Européens trouvent moins de soja brésilien, et en achètent davantage aux Etats-Unis. Exactement ce qu’on avait observé suite aux baisses des achats de pétrole russe par les Européens : il est désormais importé en Inde pour être raffiné et réexporté en Europe. Les opérateurs économiques gagnent ou perdent selon leur agilité commerciale et leur rapidité de réaction.
L’érosion du « goodwill » américain
Les nouvelles méthodes de négociation des Etats-Unis mettent à l’épreuve les relations avec des pays traditionnellement considérés comme ses alliés proches. Un pays comme le Canada se sent remis en question par l’agressivité des Etats-Unis à son égard, et va chercher à trouver de nouvelles alliances commerciales pour dé-risquer sa relation avec les Etats-Unis. Le Mexique, les pays d’Asie ressentent l’approche trumpienne des relations internationales comme une agression, et sont ouverts à s’ouvrir davantage aux propositions des Européens. Et la Chine bien sûr sait désormais qu’elle doit construire son économie en dépendant le moins possible des Etats-Unis.
C’est dans ce contexte de réorganisation et de tensions que se dessinent des opportunités pour les entreprises françaises et européennes afin de remplacer les exportateurs américains. La situation actuelle crée en effet des opportunités commerciales immédiates là où les exportateurs américains pourraient être pénalisés par les droits de douane augmentés ou une volonté de diversifier les approvisionnements. Les analyses identifient plusieurs secteurs prometteurs pour les entreprises européennes, notamment la chimie, les machines et outils industriels, le matériel aéronautique et les médicaments. Le marché chinois en particulier offre des perspectives aux exportateurs européens désireux de remplacer les exportateurs américains qui y seraient désormais moins compétitifs. Mais sur le marché américain lui-même, certains secteurs voient aussi apparaître de nouvelles niches, y compris pour des entreprises européennes comme les Allemands et les Italiens dans les secteurs touchés par la concurrence chinoise. Là aussi l’opportunisme commercial fera la différence.
Des indicateurs comme le recul des ventes de voitures Tesla en Europe au premier trimestre ou la baisse de 13 % des entrées de touristes aux États-Unis en mars peuvent être interprétés comme les premiers signes de cette dynamique changeante et d’un possible affaiblissement de l’attractivité américaine.
Attirer les talents mondiaux
Au-delà des échanges commerciaux de biens et services, un autre domaine stratégique où l’Europe peut saisir des opportunités est celui de la recherche et de l’enseignement supérieur. Les grandes universités américaines ont traditionnellement une capacité phénoménale à attirer les talents du monde entier, constituant un pilier majeur de la prospérité américaine (souvent décrit comme le brain drain mondial).
Cependant, les politiques actuelles, perçues comme restrictives ou instables, pourraient rendre les États-Unis moins attractifs pour les étudiants et chercheurs étrangers de premier plan. C’est une opportunité unique pour la France et l’Europe de renforcer leur propre attractivité dans ces domaines cruciaux pour l’innovation et le développement. Offrir un environnement stable et accueillant aux talents mondiaux est un enjeu majeur.
Réponse européenne et perspectives d’investissement : agir plutôt que subir.
Face à ce contexte changeant, l’Europe n’est pas démunie et commence à structurer sa réponse. L’Allemagne a déjà mis en place un plan budgétaire ambitieux (le plan Merz) prévoyant des investissements massifs, en particulier dans le secteur de la défense et celui des infrastructures.
La France, qui reste un fournisseur important de l’Allemagne, pourrait elle-aussi bénéficier de l’impact du plan de relance allemand en développant sa présence Outre-Rhin.
Réinventer sa géopolitique commerciale
Un pays dominant décide d’utiliser sa force pour améliorer sa position dans les termes de l’échange commercial ; certains pays plient et cherchent un accord à court terme pour sauver leur peau, et se jurent de ne plus jamais se retrouver dans la même situation ; d’autres, plus nombreux et représentant la majorité du PIB mondial, tentent de réorganiser leurs échanges en dé-risquant leur relation avec les Etats-Unis. La guerre commerciale des Etats-Unis contre le reste du monde détruit des routes commerciales autant qu’elle en crée.
Dans chaque secteur d’activité il s’agit d’identifier précisément les risques, bien sûr, mais surtout les opportunités concrètes qui se présentent, notamment là où les concurrents américains pourraient reculer. C’est pour les entreprises comme les institutions européennes une formidable invitation à l’innovation, à la réinvention et au volontarisme. Puissent les dirigeants concernés en prendre pleine conscience.
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